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Danger des pesticides prés des vignobles

C'est le terroir des châteaux Fourcas-Dupré, Clarke, Moulin d'Ulysse. Listrac-Médoc est une appellation d'origine contrôlée, riche en crus bourgeois. L'enquête sur "l'exposition aux pesticides chez les salariés viticoles et les riverains vivant au cœur des vignes du Bordelais", rendue publique mardi 19 février, risque d'y faire quelque bruit.

L'enquête sur l'exposition aux pesticides des salariés viticoles et des riverains s'appuie sur une comparaison entre des cobayes et un groupe témoin de dix personnes résidant pour la moitié près des vignobles.

 

Elle a été menée par l'association Générations futures, spécialiste des effets des produits phytosanitaires sur la santé et l'environnement, qui s'est appuyée sur les données du laboratoire d'analyse Kudzu Science et la collaboration de Marie-Lys Bibeyran, dont le frère, ouvrier agricole, est décédé d'un cancer en 2009.

L'enquête prend en compte un nombre limité de "c obayes", précisent ses auteurs, et ne reflète donc pas l'état moyen de la contamination dans les vignes françaises. N'empêche, elle établit de façon manifeste la présence accrue de résidus d'herbicides, d'insecticides et de fongicides chez les quinze salariés qui se sont prêtés à l'étude, en comparaison d'un groupe témoin de dix personnes n'exerçant pas ce métier, dont cinq résident près des vignobles de Listrac-Médoc, cinq autres pas.

ONZE FOIS PLUS DE RÉSIDUS

Les professionnels – même quand ils ne manipulent pas les pesticides – portent ainsi en moyenne onze fois plus de résidus de phytosanitaires et les riverains de ce type d'exploitation, cinq fois plus que les personnes testées habitant plus loin dans la commune.

A partir d'une cinquantaine de produits communs en viticulture – surtout des fongicides –, le laboratoire Kudzu Sciences a cherché la trace de 35 de leurs molécules actives dans les mèches de cheveux des 25 personnes volontaires, prélevées en octobre et novembre 2012.

Les cheveux portent la trace de l'exposition à une substance pendant trois mois. De l'azoxystrobine (signalé comme irritant pour les yeux, dangereux pour l'environnement), au zoxamide (irritant pour la peau, très toxique pour l'environnement), en passant par le diuron (interdit en France depuis 2003), le laboratoire en a détecté 22.

En moyenne, 6,6 substances différentes ont été trouvées chez les salariés viticoles, contre 0,6 chez les personnes n'exerçant pas ce métier. Quatre professionnels sur quinze présentaient même dix résidus de pesticides différents, parfois à forte dose, en particulier du fenhexamid et du fludioxonil.

Au moins 45% des molécules repérées sont classées cancérigènes possibles en Europe ou aux Etats-Unis, 36% sont suspectées d'être des perturbateurs endocriniens, rappelle Générations futures. A eux seuls, les 780 000 hectares de vignobles français représentent 3,7% de la surface agricole utile de l'Hexagone, mais consomment environ 20% des pesticides (en poids).

LONG PARCOURS D'OBSTACLES

Marie-Lys Bibeyran ne fait pas mystère de ses motivations personnelles : son frère, Denis, est décédé brusquement d'un cancer en octobre 2009. Il était salarié agricole et exploitait deux hectares de vigne. Avant de mourir, il avait évoqué ses soupçons quant à l'impact sur son état des pesticides qu'il utilisait.

Depuis 2011, Marie-Lys Bibeyran, elle-même saisonnière, s'est lancée dans un long parcours d'obstacles juridico-administratifs afin d'obtenir la reconnaissance de ce cancer en tant que maladie professionnelle. Elle a rejoint l'association Phytovictimes et s'est engagée aux côtés de Générations futures. C'est elle qui a trouvé des riverains prêts à participer à l'enquête. Les travailleurs des vignobles ont été plus difficiles à convaincre. Même en garantissant l'anonymat.

"Ils ont du mal à envisager que leur travail puisse avoir un tel impact, témoigne-t-elle. Après les vendanges, c'est une pulvérisation tous les quinze jours minimum. Surtout le Round Up." Elle espère que l'étude permettra une prise de conscience : "Le danger est sous-estimé. Mon frère n'était pas le seul à avoir des saignements de nez."

Pour sa part, Corinne Lantheaume, secrétaire régionale CFDT et responsable de la section production agricole de Gironde, remarque que la question des pesticides est peu prise en compte par rapport aux troubles musculosquelettiques.

Pourtant, "il y a des habitudes à changer. Certains ouvriers entrent dans la cabine du tracteur vêtus de la tenue avec laquelle ils ont préparé le chargement à épandre, témoigne-t-elle. Leur combinaison n'est pas étanche ; dessous, leurs habits sentent très fort le produit. Nous essayons d'obtenir que les salariés puissent respecter un délai d'au moins douze heures avant de revenir travailler dans la parcelle".

La déléguée syndicale reconnaît que ses recommandations ont peu d'écho : "Les gens se disent que pour garder leurs emplois, il faut des bons rendements et que, pour ça, il faut traiter."

Martine Valo

 

source: le monde.fr



24/02/2013
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